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Bienveillance vs Lucidité : L'ultime combat pédagogique

Jean-Francois McDonald, fondateur de Mildor Violon Jean-François McDonald
15 janvier 2021


Collègues profs de violon, amis violonistes, directeurs de conservatoires musicaux, cet article s'adresse particulièrement à vous. C'est un peu mon manifeste sur l'approche pédagogique que vous verrez émerger à travers cet article... C'est parti !

Depuis maintenant deux ans, je suis administrateur d'un groupe Facebook que j'adore, avec des membres aimables, beaucoup d'entraide et un réel sentiment de communauté, le groupe Facebook Violoniste débutant. C'est un lieu d'échange, de partage, où les gens publient photos et vidéos, posent des questions diverses et reçoivent des réponses autant des autres membres que de professeurs comme moi qui y suis très actif.

Bref un beau groupe ! C'est d'ailleurs surprenant sur les réseaux sociaux de trouver une communauté avec autant de membres où les cris, les blasphèmes et les coups bas sont à toute fin pratique inexistants. Et c'est d'une part, parce que nos membres sont effectivement des gens en or, mais aussi parce que nous avons une équipe de modératrices qui font un travail remarquable.

La plupart du temps, les décisions de modération sont simples. Quand c'est blessant, on supprime. À la limite, parfois quand c'est trop intense, on bannit la personne, question de garder le groupe positif, favoriser l'ambiance sympathique et permettre aux gens de se sentir en sécurité pour publier et s'exprimer librement. Mais de temps en temps, il arrive un cas spécial, un cas déchirant qui nous permet de se remettre en question en tant que modérateurs.


Le cas type

En voici un bel exemple, fictif mais qui reprend l'esprit d'un cas récent, et qui, métaphoriquement, m'a permis de me faire une tête sur ce qui semble être l'un des combats les plus importants qu'on vit quotidiennement comme professeurs : Bienveillance vs Lucidité. Un de nos membres publie une vidéo. On l'appellera Neville (excusez les référence à Harry Potter, vous avez un fan fini ici). Bref, Neville publie sa vidéo et commente :

  • Neville : Salut, voilà je me lance, c'est la première fois que je publie, ça fait quelques jours que je pratique ceci, svp donnez-moi votre avis !

Dans la vidéo annexée à sa publication, Neville a clairement de la difficulté. Il fait les bonnes notes, mais sa posture est à revoir, sa main gauche penche sous le manche et son mouvement d'archet fait une demi-lune sur l'instrument, ce qui crée des notes qui grinchent. Les réponses en commentaires dans la publication :

  • Severus : Revois tes bases, parce qu'essentiellement, tout est faux.
  • Molly : Bien voyons donc Severus ! Quelle façon de parler aux gens ! Neville, bravo pour tes efforts. C'est un groupe d'entraide ici. On devrait se parler avec plus de bienveillance !
  • Severus : Si on ne peut pas dire la vérité, où est l'intérêt d'un groupe d'entraide ? Si vous voulez rester dans l'ignorance, ne demandez pas l'avis des autres.

Qui a raison ? Qui a tord ? Y a-t-il un entre-deux intéressant ? Sur les réseaux sociaux, on a encore le droit de se retirer tout simplement, ne rien dire. Mais pour un professeur, impossible. Notre rôle est de prendre position, d'analyser le jeu de notre élève, donner son appréciation et pousser l'élève vers la bonne technique. C'est pour ça qu'on est payé, n'est-ce pas ?

Et ce dilemme, je le vois partout. Chez les professeurs, mais aussi dans la vie. Est-ce mieux comme parent d'être exigeant envers ses enfants turbulents, quitte à être sévère, pour leur apprendre la discipline ? Ou alors on doit être doux, à l'écoute, conciliant, voire contourner le problème en attirant l'attention de l'enfant vers autre chose, de manière à ce que l'enfant bâtisse sa confiance en lui ? Le bâton ou la carotte ? Et on évite le problème, ou on le confronte ?

Chaque semaine, je reçois des messages de violonistes débutants de partout au monde qui m'expliquent à quel point ils ont été (et je cite ici) "détruits" par leurs professeurs en conservatoires (et oui c'est très souvent les conservatoires qui sont pointés du doigt). Des professeurs qui sont essentiellement de vrais bourreaux face à leurs étudiants. Combien me disent : "C'était toujours blessant, toujours rabaissant". D'un autre côté, j'entends des amis professeurs en conservatoire dire des trucs du genre : "S'ils ne sont pas prêts pour la critique, ils ne deviendront jamais de bons musiciens. Je suis dur pour leur bien". Mais est-ce que le résultat favorise vraiment le bien de l'élève ? On va se le dire, certains profs se prennent pour des demi-dieux. Sa majesté a parlé... Et a écorché au passage les rêves et les aspirations de son élève... ! Pas mieux.

Mais le problème reste vrai. Est-ce qu'on veut un monde de licornes, rassurant et gentil ? Est-ce qu'on veut un monde aseptisé, censuré et libre de tout reproche qui pourrait blesser l'égo ? Est-ce qu'on veut au contraire un monde dur mais lucide, la vie étant, dans cette vision, un combat constant où on doit dire la vérité toute crue à tout prix et se préparer au pire ?

D'un côté, Molly reprochera toujours à Severus de ne pas être bienveillant, donc pas aidant. De l'autre, Severus reprochera toujours à Molly de ne pas être réaliste, donc elle-aussi pas aidante... Un beau dialogue de sourds !

Je pense, comme plusieurs, qu'il y a un entre-deux nécessaire. Mais l'entre-deux, ce n'est pas synonyme de "mettre de l'eau dans son vin", ou "dire les choses à moitié", ou "mettre ses principes de côté". Surtout pas ! Je pense que le vrai problème, c'est la dualité. On pense trop souvent par groupe de deux, bon versus mauvais, le bien contre le mal... Au contraire, je pense que la vraie problématique c'est qu'il n'y a pas DEUX façons de voir le problème, mais QUATRE...

Quatre !? Oui quatre... Merci d'être un bon public 😛

Le fond et la forme...

  • Vérité versus mensonge
  • Cru versus doux

Quatre combinaisons, vous me suivez ? Élaborons.


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Les deux oppositions

Est-ce mieux de mentir à un élève, un ami, un proche, un autre membre du groupe, ou lui dire la vérité ? Strictement au niveau du contenu du message... L'avantage de mentir, c'est que la personne se sent temporairement bien. C'est motivant de se faire dire qu'on est bon, même quand c'est faux. À la limite, ça nous rend heureux. Mais est-ce la meilleure façon d'avancer ? Non, car on ne se rend pas compte de nos erreurs. L'avantage de la vérité, c'est qu'on apprend, on doit revoir ce qu'on croyait comme acquis, on est forcé de faire face au miroir et se remettre en question. Ça peut être démotivant quand on voit qu'on n'a pas réussi ce qu'on veut accomplir. D'un autre côté, à long terme, ça peut nous aider à déterminer où est le problème, et ainsi nous permettre d'y voir, d'avancer.

À mon sens, et c'est très personnel, je trouve que la vérité l'emporte toujours.

Ensuite, est-ce mieux de dire les choses de manière crue, ou douce ? Je pense qu'il y a ici quelque chose de plus grand et qui vient s'ancrer dans une réalité toute humaine. Est-ce que cru veut dire méchant et doux veut dire gentil ? Est-on cru dans un but aidant, ou parce qu'on écoute le petit démon intérieur, l'être un peu sadique en nous ? Si vraiment on veut aider, pensez-vous que rabaisser la personne devant nous aide vraiment ? Bien sûr que non ! Au contraire, ça campe les gens dans leurs croyances, ça les empêche de nous écouter, ça détruit les espoirs et ça mine la confiance de soi. Alors que la douceur a l'effet inverse. Et quand on est cru, est-ce qu'on est nécessairement rabaissant ? Bien sûr que non ! Mais parfois oui. Le vrai problème devient donc moins le fait de dire les choses de manière crue ou douce... Le poids de la forme, c'est le poids moral : Méchanceté versus gentillesse. L'intention et les mots utilisés.

À mon sens, et c'est très personnel, je trouve que la douceur l'emporte toujours.


Les quatres visions

Faire preuve de doigté, de tact, c'est vraiment là où s'exprime, à mon sens, la bienveillance d'un professeur, tout comme dans notre vie personnelle. Ça permet aussi de dire ce qu'on veut dire, sans détour, mais dans le respect de l'individu devant nous. Reprenons notre exemple :


  • Neville : Salut, voilà je me lance, c'est la première fois que je publie, ça fait quelques jours que je pratique ceci, svp donnez-moi votre avis !

Dans la vidéo annexée à sa publication, Neville a clairement de la difficulté. Il fait les bonnes notes, mais sa posture est à revoir, sa main gauche penche sous le manche et son mouvement d'archet fait une demi-lune sur l'instrument, ce qui crée des notes qui grinchent. Et voici les quatres visions :

  • Dolores (Mensonge cru) : 👏👏👏❤️❤️ (très sarcastique)
  • Molly (Mensonge doux) : Neville, bravo pour tes efforts ! Continue, je suis fière de toi, tu es sur le bon chemin !
  • Severus (Vérité crue) : Revois tes bases, parce qu'essentiellement, tout est faux.
  • Albus (Vérité douce) : Bravo Neville d'avoir osé publier, ça demande du courage et en ce sens, c'est inspirant ! Tu souhaitais avoir des avis, voici ce qui pourrait t'aider à avancer. Attention à ta posture générale, mets ton violon un peu plus haut sur l'épaule, colonne droite, ça te permettra de dégager l'espace devant toi, pour avoir plus d'aisance. Garde ta main gauche plus droite quand tu joues pour favoriser la précision, la justesse de tes doigts. Et garde le plus possible l'archet à 90 degrés avec les cordes, quitte à te regarder pendant un temps devant le miroir pendant que tu joues. Continue ton travail Neville, tu as un beau potentiel !

À mon sens, et c'est très personnel... Je pense qu'il est clair quelle approche je privilégie 😉


L'approche pédagogique

C'est ce que j'essaie d'enseigner aux futurs professeurs lorsque je les forme. On ne fait pas de détour, on dit ce qui doit être dit, mais on le fait avec tact et toujours dans le respect de l'individu face à nous. Oh ne vous en faites pas, je ne suis pas un saint. J'ai longtemps fait l'erreur de penser que je devais être dur envers les élèves, pour leur bien, "for the greater good", et j'ai été tyran moi aussi à une certaine époque, jusqu'à ce que je me rende compte que ça n'aide personne, ça ne fait que satisfaire son désir malsain de perfection.

Un jour, quelqu'un m'a dit, la meilleure façon d'être constructif et persuader quelqu'un, c'est d'utiliser la méthode du sandwich, deux positifs autour d'un négatif. Un compliment au début et à la fin d'un message, et entre les deux, la critique, expliquée en détail et le maximum de trucs pour aider la personne.

On se doit, comme professeurs, et je dirais même plus largement comme êtres humains, de penser à la forme ET au contenu. Ce contrat moral qu'on s'impose, il est difficile à réussir, mais c'est ainsi qu'on aide vraiment ceux qui nous entourent. Parce qu'on permet aux élèves de comprendre leurs problèmes tout en les encourageant dans leur parcours.

Dans la série House M.D. une femme énonce : "That's what life is. It's a series of rooms. And who we get stuck in those rooms with adds up to who we are." Traduction libre : La vie est une série de chambres, et les personnes avec lesquelles nous sommes pris dans ces chambres influencent qui nous devenons.

On ne dit pas à un enfant qui commence à marcher "Bin voyons donc ! Tu marches tout croche, va te pratiquer, c'est une honte !". On lui dit "Bravo, continue ! Attention à tes pieds, viens marcher avec moi, on va se pratiquer ensemble, je suis fier de toi !". Tâchons donc d'avoir la même bienveillance envers nos élèves, nos amis, notre famille... Et pourquoi pas nous-même !

Mon personnage préféré de la saga Harry Potter restera toujours Albus Dumbledore. Lisez-le, voyez sa façon d'être un mentor, sa façon d'être toujours dans la vérité, la recherche du bien ultime tout en restant respectueux. Il y a dans ce personnage, la clé pour tous les professeurs. Compétence et bienveillance.

Conclusion ? Bienveillance ou lucidité ? Je dirais bienveillance lucide, ou lucidité bienveillante. À vous de décider 😉 En tout cas, c'est ainsi qu'on voit les choses chez Mildor Violon.








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Que dis-je un café ? J'vais être très transparent avec vous, y'a de fortes chances que je m'achète plutôt un Pepsi Diet 😛